jeudi 12 juillet 2012

La fenêtre

Pierre venait de rentrer du travail, il faisait déjà nuit. Il alluma la cuisine et la lumière crue l'aveugla. Après quelques secondes, quand ses yeux furent habitués, une drôle d'impression l'envahit. Il était face à la fenêtre qu'il avait laissé ouverte en grand pour éviter les odeurs, dehors, pas une lumière, pas un bruit. La fenêtre était telle un trou béant qui ne donnait que sur du noir. Le noir, le noir complet, le vide, le vide complet. Pierre fut effrayé. Il voulut aller fermer la fenêtre mais il n'arrivait pas à bouger. Il fixait le trou noir. N'importe quoi pouvait se cacher là bas dans ce manteau de nuit, n'importe quoi comme au contraire absolument rien. Jamais. Il avança enfin et le chemin entre lui et la fenêtre était interminable, pénible. Il ferma les battants, son cœur se calma. Il tira les rideaux et se senti soulagé, en sécurité. Mais pourtant quelque chose s'était cassé. Un subtil changement d'éclairage s'était opéré. Sur lui, sur sa vie. En vérité, ça l'avait travaillé toute la journée. Ce n'était pas grand chose. C'était presque rien. Quand il s'était levé ce matin il avait tout de suite su que quelque chose était différent. Il ne voyait plus le monde de la même façon. Oui, la lumière avait changée. La journée avait défilé comme s'il avait été extérieur à son corps. Sa femme qui préparait le déjeuner et l'embrassait sans même un regard. Le trajet aller métro. Le travail, le mot suffit. Les poignées de mains, les repas, les toilettes, les coups de téléphone, la bave qui coule le long des lèvres, le trottoir, les caniveaux, les feux verts, les portes à ouvrir, les yeux à fermer, le trajet retour métro. Les marches à monter, encore une porte. Les ronflements. Plus de femme sur le fauteuil à moitié endormie par l'attente ni même, parce que c'était trop long, de mot sur la table qui lui dit "je t'aime". Mais l'appartement dans l'obscurité, avec la fenêtre de la cuisine ouverte sur la nuit, elle pourrait être ouverte sur Pierre que ça serait exactement pareil. Tirer les rideaux pour croire que l'on a vaincu cette obscurité. Mais c'était faux. Il le savait. Il voulait aller la réveiller et être aimé. Mais c'était faux, il le savait. Puis Pierre se dit qu'il voulait mourir et qu'il n'avait qu'à se jeter par la fenêtre, mais ça aussi c'était faux. Qu'est ce qui avait changé? Avant aujourd'hui il acceptait tout. Il se disait que c'était ainsi et que c'était pareil pour tout le monde. La vie lui plaisait, sa routine le rassurait. Mais maintenant c'était devenu insupportable. Ce n'était pas assez. Ce n'était pas digne de lui. Ce n'était pas digne d'être vécu. De perdre son temps. Il se sentait nouveau. Il rouvrit les rideaux. Son visage se reflétait sur la vitre, sur le rien. Cette image lui plut. Quelque chose se reflétait dans la nuit et c'était lui. Il comprit qu'il était seul. Que c'était à la fois le problème et la solution. Que tout l'amour qu'il avait en lui ne pourrait jamais rien atteindre. Il alla s'assoir sur le canapé et attendit que le jour se lève.
Au matin, sa femme se réveilla. Elle le vit mais ne dit rien. Elle observa son visage triste et déterminé, éclairé par la douce lumière bleutée du petit jour. Elle su mais ne dit rien. Un subtil changement d'éclairage s'était opéré. Elle alla s'assoir à côté de lui et doucement lui prit la main.

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